
Ils n’en ont pas voulu. Alors je vous la confie.
Depuis deux jours, j’ai envoyé cette tribune à de nombreux médias, grands et petits, espérant qu’au moins l’un d’entre eux accepte de faire entendre une voix dissonante sur un sujet fondamental. Mais tous m’ont dit non.
Ce texte, je l’ai écrit avec mes tripes. Il ne cherche ni la polémique, ni la récupération. Il exprime un regard engagé, personnel, profondément inquiet. Le regard d’une juriste, d’une femme en situation de handicap, qui s’interroge sur le sens d’une loi votée aujourd’hui à l’Assemblée nationale : celle qui ouvre l’aide à mourir.
Puisque les canaux officiels ne veulent pas l’amplifier, je la publie ici. Parce que certaines paroles ne doivent pas rester confinées dans une boîte mail.
"Je souhaite prendre la parole en ce jour, à propos d'un projet de loi qui pourrait bouleverser l'ensemble des enjeux et des valeurs portés par notre système de santé, actuellement soumis à l'examen parlementaire.
En effet, c’est bien l’aide active à mourir, autrement connue sous le nom d’euthanasie, qui est actuellement débattue à notre Assemblée. Ce projet, précédemment approuvé par le Comité consultatif national d’éthique, semble encadré par un dispositif flou et insuffisamment précis, dont certaines formulations posent pour beaucoup de personnes atteintes de maladies de nature à remettre en cause leur pronostic vital, de véritables questionnements éthiques.
Parmi les conditions d’éligibilité au dispositif d’aide à mourir, figurent une condition d’âge, (18 ans), une condition de capacité (ou d’aptitude à exprimer sa volonté), une condition de se trouver dans un état de souffrance insupportable mais surtout, et telle est l’origine du problème, une condition d’être atteint d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale.
Une vague de témoignages particulièrement émouvants touche notre pays depuis quelques jours, de la part de personnes concernées par de telles pathologies et donc par des formes lourdes de maladie ou de dépendance, combattant avec humilité l’atteinte que porte ce texte à leur propre dignité, clamant leur désir de vie et aspirant à être soignés, soulagés plutôt qu’abandonnés lâchement dans ce fiasco institutionnel.
Bien que non directement concernée par le sujet du fait de mon exposition à un handicap stabilisé, et n’ayant aucune vocation à pouvoir interrompre ma propre vie, je vous écris aujourd'hui profondément choquée par les retombées éventuelles que pourraient avoir ce texte, par la vision sombre et fataliste de la dépendance et de la maladie qu’il tend à diffuser, mais par-dessus tout par le virage symbolique qu’il incarne à mes yeux. Un virage qui me fait apercevoir l’horizon d’un système de santé, non seulement traversé par une crise profonde, mais surtout ne répondant plus à l’obligation qui lui incombe de fournir des soins consciencieux, dévoués et conformes aux données acquises de la science figurant à l’article R4127-32 du Code de la santé publique.
De par ma qualité de juriste passionnée depuis toujours par le droit de la santé mais également à cause d’une histoire personnelle profondément ancrée dans ma chair, j’aspire à un système de santé respectant scrupuleusement le principe de dignité de la personne humaine mais aussi le droit fondamental dont elle bénéficie, d’avoir accès à son propre système de soins. Malgré les efforts, l’humanité et le travail admirable de nombreux soignants œuvrant chaque jour pour assurer la qualité des soins et le bien-être des patients dont ils se chargent, laissez-moi vous dire que certaines exceptions existent dérogeant au principe et que ces dernières ne sont pas sans conséquence sur la vie des patients.
Je suis atteinte d’une Infirmité Motrice Cérébrale, un handicap estimé à plus de 90% et survenu par la faute d’un médecin. Toute ma vie, on m’a justifié les circonstances dramatiques de ma naissance par une insuffisance de moyens économiques. J’entends et confirme effectivement le problème véritable et massif que cette dernière pose de nos jours. Depuis des années, je lis dans la presse des histoires de drames médicaux aux conséquences désastreuses sur la vie des patients, allant de la dépendance aux issues tragiques. L’histoire d’une jeune fille atteinte d’une IMC, décédée d’une péritonite survenue a causé d’un défaut de prise en charge, continue de me glacer le sang. Il y a quelques années, l’Ehpad de ma grand-mère, situé dans une commune tranquille du Cantal a fermé contre la volonté des résidents pour motif budgétaire.
C’est bien l’ensemble de ces éléments qui rend aujourd’hui ma profonde colère face à ce texte de loi. Car depuis des années, on me justifie les pires ingérences par des explications purement économiques : la désorganisation des services, les heures d’attente injustifiées, les défauts de prise en charge, les césariennes qu’on refuse aux femmes, et j’en passe.
Par conséquent, il va sans dire que je clame aujourd'hui la consternation totale face à l'adoption d'un nouveau texte de loi dont le revers de bienfaisance humanitaire ne saurait dissimuler le véritable objectif à visée économique, pour en plus instaurer un dispositif d’aide à mourir dont les contours juridiques sont imprécis. Cette conception de la dignité humaine, qui semble depuis toujours réduite à une simple équation économique, heurte profondément mes convictions et mon expérience personnelle.
Alors il faut choisir :
Soit c’est un miracle budgétaire, et dans ce cas c’est une honte.
Parce que soudain, comme par enchantement, l’État trouve des moyens pour encadrer la mort. Des financements, des protocoles, des équipes. Tout est possible… sauf quand il s’agit de soulager les vivants. Pour les soins palliatifs, on nous répète qu’il faut “faire des choix”, qu’on “manque de moyens”. Mais pour mettre en place l’aide à mourir, là, l’argent coule à flots. Cherchez l’erreur.
Soit, et c’est encore plus glaçant, cette loi sert à faire des économies. Moins de traitements, moins de suivis, moins d’accompagnement. Et pour faire passer la pilule, on enveloppe tout ça dans un discours compassionnel : on “soulage”, on “offre une liberté”, on “respecte la dignité”. En réalité, on optimise les coûts en déguisant l’abandon en choix personnel. La mort devient un plan d’ajustement budgétaire.
Parce qu’il ne faut pas oublier les indénombrables victimes du système de santé précaire que l’on nous impose et défaillant au respect des garde-fous juridiques visant à garantir notre dignité. Il ne fait pas oublier que l’enjeu du financement des différents services publics par les impôts des citoyens réside justement dans un accès assuré à ces services pour chaque contribuable. Il ne faut pas oublier que nous vivons dans une République garantissant le respect des droits fondamentaux de la personne humaine sur le fondement de sa dignité et de son intégrité. Il ne faut pas oublier qu’à cause de l’ensemble de ces ingérences indignes de notre état de droit et de nos valeurs morales, des personnes meurent ou souffrent chaque jour dans nos hôpitaux publics à défaut de pouvoir être correctement soignés. Il ne faut pas oublier la gestion catastrophique de la crise de la Covid-19, l’enchaînement de pénuries laissant le peuple confiné à domicile, privé de contact avec ses aînés et avec l’ensemble des effets de la vie collective : masques, soignants, lits d’hôpitaux, gels hydroalcooliques…
Chaque ingérence, chaque faute, erreur médicale, chaque scandale sanitaire demeure systématiquement justifié en France par des explications de nature économique. En France, des enfants naissent handicapés à vie par défaut de césarienne, à cause du manque de moyens. En France, on peut mourir d’une atteinte parfaitement curable après avoir attendu des heures aux urgences, par la faute du manque de moyens. En France, une épidémie nous confine des mois durant à domicile à cause du manque de moyens. En France, les établissements accueillant les personnes âgées sont fermés par les agences de santé à cause du manque de moyens.
En réalité et pardonnez-moi de le dire mais ce genre d'excuse n'est que foutaise pour venir dissimuler le manque de considération abjecte que le modèle sanitaire accorde au bien-être et à la dignité du patient. En réalité, le manque de moyens se révèle bien davantage comme l'objectif à poursuivre que comme le modèle à combattre !
Car oui ! Dorénavant en France nous avons trouvé un nouveau moyens de faire des économies sur le dos des gens en prétextant avoir élaboré une loi dont la visée première est frauduleusement humaniste. Plus aucune dépense dans les soins ou dans des processus de soulagement de la douleur. L'Etat aura trouvé un nouveau moyen de faire des économies : ne plus investir dans la santé des êtres humains au motif d'un hypothétique "droit de choisir". Mais droit de choisir quoi au juste ?
Actuellement, l'Etat vient nous berner pat le véritable objectif de cette loi ne visant clairement pas à une quelconque amélioration du bien-être des patients, mais en s'abstenant une fois de plus d'investir le nécessaire pour garantir un modèle sanitaire soucieux de la souffrance des plus vulnérables. Parce qu'avec cette loi, on peut se demander, plus clairement, s'ils ne cherchent pas à se débarrasser du problème !
Par application à mon propre droit à la liberté d’expression, aujourd’hui, j’ose me placer du côté de ceux qui réfutent cette prétendue avancée et demande avec conviction au pouvoir législatif de ne pas adopter une telle loi que je considère dangereuse et incohérente face aux défis actuels.
Je souhaite enfin conclure mon propos en soulignant l'urgence de rediriger nos efforts et nos ressources vers l'amélioration des soins palliatifs, le renforcement de notre système de santé, et le soutien aux personnes vulnérables. Car c'est en garantissant à chacun l'accès à des soins dignes et de qualité que nous honorerons véritablement les valeurs humanistes de notre République."
Ajouter un commentaire
Commentaires